Les jeux de décision de Leader’s Digest vise à inciter les abonnés de cette newsletter à de se mettre – dans le cadre de scénarios – dans le rôle de personnes qui se trouvent confrontées à des défis éthiques ou tactiques.
Nous reprenons d’abord le dernier scénario présenté ; ensuite, Dr. Florian Demont à la chaire de conduite et de communication de l’Académie militaire de l’EPF Zurich, présente les recommandations d’action que nous avons reçues.
Jeu de décision de Leader’s Digest #16
Scénario
Vous êtes commandant de compagnie au paiement de galons, assis dans votre bureau, concentré sur un concept d’exercice, lorsque le téléphone sonne. À l’autre bout du fil, c’est votre supérieur. La mère d’une recrue l’a contacté pour lui faire part de conditions qu’elle juge alarmantes au sein de la compagnie. Son fils s’est plaint d’un sous-officier qui, lors de l’inspection des chambres, a obligé les recrues à rester au garde-à-vous pendant une demi-heure et a jeté du matériel à travers la caserne. La recrue souffre d’un manque de sommeil et développe des états anxieux.
Comme vous n’avez pas encore mémorisé tous les noms et tous les visages après deux semaines d’école de recrues, vous faites appeler la recrue concernée dans votre bureau. Celui-ci confirme non seulement les déclarations de sa mère, mais ajoute également des détails supplémentaires. À plusieurs reprises, des recrues de sa section auraient été réveillées après l’extinction des feux pour courir autour de la caserne en tenue de sport. Ces « punitions » seraient motivées par des fautes telles que le mauvais entretien des chaussures, le désordre dans les chambres ou des retards à l’entraînement.
Lors du rapport de compagnie suivant, vous abordez le sujet et constatez que les chefs de section n’ont aucune connaissance des faits. Une cause possible est rapidement trouvée : les cadres supérieurs ne sont pas logés au même endroit que les recrues et les sous-officiers, ce qui rend un contrôle direct difficile. Afin d’examiner l’incident de manière approfondie, vous ordonnez à chaque recrue de la section concernée de donner son avis par écrit. Parallèlement, vous interrogez oralement les sous-officiers de la section afin de connaître leur point de vue. Il apparaît rapidement que le sergent Huber est l’instigateur de ces mesures. Son charisme a en outre incité d’autres sous-officiers à le suivre et à adopter des pratiques similaires.
Les déclarations écrites des recrues sont toutefois ambivalentes : alors que certains sergents accusent directement le sergent Huber, une majorité le défend indirectement. Beaucoup approuvent les mesures sur le fond et les considèrent comme des conséquences justifiées d’un manque de discipline. Le respect de l’ordre et de la propreté est en effet une vertu militaire fondamentale et fait partie intégrante de la formation.
Afin d’approfondir leur analyse de la situation, ils demandent également au sergent Huber de donner son avis par écrit. Dans son rapport, il cite le règlement de service et argue que ses mesures visaient à former les soldats, à faire respecter l’ordre, à promouvoir la camaraderie et à instaurer un respect durable envers les supérieurs. Il considère que sa manière d’agir était nécessaire pour inculquer la discipline aux recrues et souligne que des méthodes similaires sont également utilisées dans d’autres sections.
Une enquête complémentaire révèle effectivement que des pratiques similaires existent dans d’autres sections. Contrairement à la section concernée, elles ne sont toutefois pas perçues négativement. Au contraire, de nombreuses recrues les considèrent comme faisant partie de l’éducation et de la formation militaires.
Votre supérieur ordonne néanmoins l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre du sergent Huber afin d’enquêter officiellement sur cette affaire. Après avoir examiné les bases légales et consulté un juge d’instruction militaire de votre connaissance, il apparaît toutefois qu’il sera difficile de trouver une base juridique solide pour une condamnation. La distinction entre une conduite militaire stricte et une brimade illicite est complexe, d’autant plus que de nombreuses recrues défendent ces mesures.
Vous êtes partagé. Plusieurs départs de votre compagnie, peut-être dus à la dureté du traitement, ont déjà eu lieu, et il reste encore seize semaines d’école de recrues. En même temps, vous reconnaissez la dynamique cohérente qui règne au sein du corps des sous-officiers – le problème inverse vous avait causé des difficultés bien plus grandes lorsque vous étiez chef de section. Il n’est pas facile de concilier la rigueur militaire et le devoir de diligence : vous souhaitez former et éduquer les recrues afin qu’elles soient aptes à défendre leur pays, mais vous devez également prévenir le harcèlement et les abus et sanctionner systématiquement les erreurs disciplinaires. Il est également important d’expliquer votre approche aux recrues, aux cadres, aux supérieurs et aux personnes extérieures.
Questions
- Quelles mesures d’urgence prenez-vous ?
- Comment conciliez-vous la rigueur de la formation et le devoir de veiller au bien-être des troupes ?
- Que comptez-vous faire pour améliorer la situation d’ici la fin de l’école de recrues ?
- Que communiquez-vous à qui ?
Recommandation d’action du jeu de décision de Leader’s Digest #16
Le scénario présenté confronte un commandant de compagnie à une situation de commandement complexe : une recrue se plaint d’avoir été harcelée par un sous-officier, le sergent Huber, connu pour ses méthodes musclées, mais aussi apprécié par de nombreux camarades et certaines recrues pour sa cohérence. Les incidents vont de longues positions d’observation à des « exercices de punition » nocturnes. En même temps, il y a des indices de problèmes systémiques, car des pratiques similaires existent dans d’autres sections et les chefs de section semblent insuffisamment informés ou impliqués. Le supérieur du commandant de compagnie a déjà ordonné l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre du sergent Huber, bien que la base juridique de cette procédure soit jugée difficile. Le commandant de compagnie doit maintenant prendre des mesures immédiates, trouver un équilibre entre la fermeté militaire nécessaire et le devoir d’assistance, améliorer la situation à long terme et communiquer ses décisions à différents groupes d’interlocuteurs.
Nous ne présentons pas ici un condensé de toutes les soumissions, mais la proposition de solution du lieutenant Ralph Meier, en soulignant pourquoi elle mérite la distinction du mois de mai.
Le lt Meier présente une réponse élaborée en détail, caractérisée par une structure claire et une analyse approfondie de la problématique. Son appréciation de la situation identifie précisément les problèmes clés : un déficit de commandement et de contrôle, la perception ambivalente des mesures par les recrues, la zone grise juridique, l’ampleur systémique des pratiques et le risque de nouveaux départs de la compagnie.
Comme mesures immédiates, le lieutenant Meier propose un ensemble d’interventions :
- Une réunion immédiate des cadres pour clarifier les règles et les limites (ce qui est autorisé, ce qui ne l’est pas).
- L’obligation temporaire de présence des chefs de section lors des contrôles de chambre et l’examen d’une suppression de la séparation physique entre les cadres supérieurs et la troupe.
- Une offre d’entretien à bas seuil pour les recrues afin de pouvoir aborder les problèmes à un stade précoce.
- La suspension de toutes les « mesures éducatives » douteuses jusqu’à ce que la situation soit clarifiée.
Pour trouver l’équilibre entre la fermeté et le devoir d’assistance, le Lt Meier prévoit
- L’élaboration de critères clairs pour une sévérité appropriée, en collaboration avec les chefs de section.
- L’institutionnalisation de séances de réflexion avec les sous-officiers pour discuter des situations critiques et souligner l’intérêt des mesures éducatives.
- Le développement d’un module de formation interne pour les sous-officiers.
- L’introduction du renforcement positif et des entretiens anonymes avec les recrues.
Pour améliorer la situation à long terme, jusqu’à la fin de l’école de recrues, son plan prévoit
- La mise en place d’un système de mentorat pour les sous-officiers.
- Formations régulières des cadres sur des thèmes de gestion.
- La révision des mécanismes de contrôle afin d’assurer une présence régulière, voire inopinée, des cadres supérieurs.
- Des mesures de team building et une documentation et une évaluation cohérentes de tous les incidents et mesures.
Sa stratégie de communication est différenciée et s’adresse à tous les groupes concernés : les recrues, les cadres, son supérieur hiérarchique et même les parents de la recrue concernée (après son accord).
Le plan détaillé pour traiter avec le sergent Huber est particulièrement réussi. Le lieutenant Meier propose ici un entretien individuel pour comprendre ses motivations, mais aussi pour fixer des limites claires. Il veut utiliser de manière positive le leadership et le charisme de Huber, tout en le contrôlant et en lui montrant aussi bien les conséquences en cas de nouvelles infractions que les perspectives en cas d’évolution positive.
Un autre point remarquable est l’examen proactif de l’instruction de son supérieur concernant la procédure disciplinaire. Le lieutenant Meier argumente de manière fondée pourquoi il considère qu’une procédure immédiate contre Huber est disproportionnée et contre-productive. Il plaide pour que cette instruction soit reconsidérée et propose à la place un avertissement oral formel et un suivi étroit de Huber, tout en soulignant qu’il est prêt à engager une procédure disciplinaire en cas de nouveaux manquements. Il insiste ici sur sa marge d’appréciation en tant que commandant de compagnie dans le cadre de la tactique de la mission.
Les avantages de la réponse du lieutenant Meier sont nombreux :
- Complète et détaillée : La réponse couvre presque tous les aspects de la problématique complexe et propose une multitude de mesures concrètes et bien pensées.
- Approche systémique : le lieutenant Meier reconnaît qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème individuel avec le sergent Huber, mais de faiblesses systémiques dans la direction, le contrôle et la culture. Ses solutions visent donc des changements durables.
- Équilibre : il essaie de trouver un équilibre entre la cohérence nécessaire et la reconnaissance des aspects positifs (par exemple l’engagement de Huber, le dynamisme du corps des sous-officiers).
- Attitude managériale : le Lt Meier fait preuve d’une attitude managériale claire et responsable, en particulier dans ses relations avec son supérieur, où il défend son point de vue avec courage et de manière bien argumentée.
- Orientation vers la pratique : de nombreuses propositions sont très proches de la pratique et témoignent d’une bonne compréhension des réalités quotidiennes du service (par ex. enquêtes anonymes, système de mentorat, séances de réflexion).
- Une forte autoréflexion : le bilan final avec les enseignements personnels montre une forte disposition à l’autoréflexion et à l’apprentissage continu en tant que cadre.
Inconvénients possibles :
- Intensité des ressources : certaines des mesures proposées sont susceptibles de nécessiter des ressources importantes. Toutefois, il s’agit davantage d’un défi de mise en œuvre que de conception.
- Analyse des erreurs de communication passées : alors que la stratégie de communication pour l’avenir est très bonne, l’analyse explicite des raisons pour lesquelles la communication a échoué dans le passé pourrait être plus pointue – ce qui pourrait également aider à la justification.
Conclusion
La réponse du lt Ralph Meier constitue un traitement convaincant du scénario de gestion complexe. Elle se caractérise par une analyse approfondie, une orientation claire, une multitude de mesures concrètes et proches de la pratique ainsi qu’une bonne attitude de direction. La manière dont il aborde les différentes facettes du problème et les relie entre elles est exemplaire.
Pour ces raisons, la réponse du lieutenant Ralph Meier est considérée comme la meilleure parmi toutes celles qui ont été reçues. Elle offre non seulement une solution au problème spécifique, mais fournit également un aperçu précieux d’un commandement militaire moderne, réfléchi et responsable. Nous vous félicitons pour votre exemplaire de « Führung und das 3 Alpha Prinzip » de Hans-Christian Witthauer et Thomas Saller.